L'Egypte qui se déroulait désormais, tel un interminable ruban vert, le faisait à portée du Nil, fleuve de vie, artère de communication, long de plus de 6.500 kilomètres. Les berges du Nil étaient fleuries d'ibis blancs nichés serrés sur les branches des arbres et de bouquets de dattiers opulents, lourds de fruits rouges, jaunes et marrons. J'ai distingué des manguiers aux fruits succulents, des bananiers et des champs de luzerne, de maïs et de blé. Les villages aux maisons de briques crues s'inséraient dans l'harmonie paisible des paysages. Cette trouée verte allait rétrécissant. La frontière, celle de la végétation, de la vie et de l'eau était aussi nette que la fracture qui divise le végétal du minéral. En quelques centaines de mètres, on passait de la végétation luxuriante, don généreux du Nil, à des collines stériles. Leur relief prenait tour à tour des formes cubiques, pyramidales ou étagées comme celles de Sakhara. Le Nil se lovait ensuite dans les méandres de son lit puis contournait des îles plantées de genévriers.
Sur les rives, il y a des acacias à houppettes d'or qui embaument, des sycomores, arbres maudits par Jésus, au bois imputrescible et aux figues minuscules et des palmiers Doums dont le fruit à un noyau d'ivoire végétal et dont les longues racines fixent le sable du désert toujours menaçant. La navigation sur le Nil est un art difficile et des marins barbarins à la peau noire et originaires de Nubie connaissent parfaitement le parcours du fleuve, ses bancs de sables, ses chenaux rétrécis, ses courants, ses contre-courants et ses passages difficiles. Nous croisons des lourdes felouques aux voiles triangulaires qui descendent une eau si lisse qu'elle se mirent dedans. J'ai aimé l'architecture élancée des pigeonniers, carrés et blancs, percés de trous, pareils à des postes de garde. Des pélicans à la grande voilure nagent ci et là par couples. Des martins-pêcheurs noirs et blancs piquent de très haut dans l'eau à la recherche des perches du Nil, des petits bleus ou gardes-boeufs conservant la pose sur le dos des buffles noirs aux longues cornes retournées, et les tourterelles d'Egypte dont le cri ressemble au rire humour sont par la beauté de leur plumage un régal pour les yeux. Il est, le long des berges, des criques isolées que des rideaux de roseaux murent hors du monde. C'est dans un lieu pareil à ceux-ci que la mère de Moïse confia son fils dans un berceau de tiges de blûs tressées et calfatées de lin, au courant du fleuve, et qu'il fut recueilli un peu plus loin par la fille du pharaon. Nous nous arrêtons à Edfou et visitons son temple dédié à Horus toujours présent sous la forme d'un faucon, puis à Komombo avec son temple majestueux dédié à Sobek le dieu crocodile.
Assouan, frontière de l'Afrique Noire
Assouan, jadis petite ville provinciale et blanche est maintenant un
carrefour touristique. On distingue en amont du Nil, l'île de Philae
et son temple, et en aval l'île Eléphantine connue comme l'île
aux fleurs. L'île Eléphantine ressemble, vue du rivage, à
un éléphant se baignant entre des roches de basalte noir.
Avant d'être l'actuel jardin botanique, elle était plantée
de vignes jusqu'à ce que ses derniers propriétaires fassent
arrachér les plants, cause ,d'après eux, de l'ivresse et
de la mort de leur père. Ici à l'approche de la première
cataracte, le Nil se fait impétueux et violent. La navigation devenait
hasardeuse avec le risque pour les barques de s'échouer dans le
dédale des îles granitiques, basaltiques ou sablonneuses.
Les mariniers nubiens étaient les seuls capables de remonter le
Nil à travers ses bruissants. C'est face à Eléphantine,
dans l'espace infini, qui commence où le vert d'eau de la végétation
s'achève que l'Aga Khan choisit d'abriter son dernier sommeil dans
un mausolée de marbres précieux. On démembrait en
1908 cinq familles juives à Assouan, vivant du commerce des épices
et de l'ivoire. En 1917, en plein boom économique, ils étaient
142 et avaient construit un oratoire. En 1927, pendant le dernier recensement
communautaire, ils n'étaient plus que 44. La crainte pour les enfants
du zèle missionnaire des écoles religieuses catholiques,
les seules à dispenser un enseignement secondaire, avait amené
la majorité des familles à quitter pour Alexandrie et le
Caire. En 1940, une famille juive d'Alexandrie, les Adda, acheta une villa
qui surplombait un îlot proche d'Eléphantine. Sans le savoir
peut-être, ils avaient renoué avec une tradition de 3.000
ans de présence juive dans ces lieux.
Rêverie face à l'île Eléphantine
J'ai désiré revoir l'hôtel Cataract et sa bâtisse
ocre de style colonial anglais d'un charme désuet. L'essentiel du
bâtiment est intact et les jardins étagés, cultivés
comme des serres fleuries, forment une suite de terrasses qui surplombent
toutes le Nil. Le roi Fouad aimait y séjourner. Le roi libéral
eut comme Ministre des Finances en 1925 Joseph Cattaoui Pacha qui naquit
dans une très ancienne famille juive de province. Joseph Cattaoui
venait retrouvér le roi Fouad à l'hôtel Cataract, et
l'entretenait des réformes à apporter au pays et du budget
de l'Etat. Les 2 fils Cattaoui, René et Aslan, nés d'Ida
Rossi originaire de Ferrare en Italie, furent députés de
la haute Egypte jusqu'en 1956.
Je me rappelle du roi Fouad circulant dans une voiture rouge, couleur réservée à la seule famille royale, et escorté de motocyclistes anglais, ou dans son carrosse d'apparat aux incrustations d'or, pendant les cérémonies protocolaires.
J'avais veillé très tard en janvier 1958 à la véranda de l'hôtel Cataract pour voir apparaître, brillante et de premières grandeur, la constellation de la croix du sud. C'est à cette occasion et sous ce ciel d'une parfaite luminosité et d'un bleu sans nuages que j'ai rencontré ma femme. La bourgeoisie juive du Caire et d'Alexandrie aimait à se retrouver pendant les mois d'hiver dans les hôtels très " british " de Louxor et d'Assouan. C'est le temps de l'apogée, de la richesse et de l'importance de la communauté. En moins de 100 ans, elle avait réussi à donner à l'Egypte un dynamisme de progrès social et industriel.
Un temple juif à Assouan , cinq siècles avant Jésus
Les soldats mercenaires hébreux de l'Empire Perse de Cyrus et
de ses successeurs bâtirent cinq siècles avant Jésus
un temple dédié à l'Eternel Yeho dans l'île
Eléphantine. Le temple était voisin de celui du dieu bélier
égyptien Khnoun. Il y portaient des offrandes, et chose exceptionnelle
dans l'histoire du judaïsme, faisaient des sacrifices sur l'autel
comme cela se passait au temple de Jérusalem. On a retrouvé
de nombreux papyrus écrits en araméen et adressés
au Grand Prêtre de Jérusalem l'interrogeant sur les dates
des fêtes, notamment celle de Pâques. Ces soldats des Marches
de l'Empire cuisaient soigneusement leurs galettes de pain azyme. En 410
avant Jésus, le temple d'Eléphantine fut détruit par
des Egyptiens jaloux de ce Dieu unique, invisible et non statufié,
en l'honneur de qui les Hébreux sacrifièrent les ovins qu'ils
adoraient. Cette date de 410 avant l'ère vulgaire correspond au
déclin de l'Empire Perse ainsi qu'au regain de nationalisme égyptien.
La domination perse de l'Egypte n'aura duré qu'un siècle
et demi. Il semble que peu après, les hébreux adressèrent
des suppliques à l'empereur pour les autoriser à reconstruire
leur temple. Cela leur fut accordé. Aucun guide interrogé
à Assouan ne connaît l'histoire du temple juif d'Eléphantine.
Assouan pendant les temps médiévaux
Des juifs vécurent en Haute Egypte pendant les temps médiévaux.
Ils habitaient le Fayoum, Ikhmim, Qous, Qift et Assouan. Les documents
de la synagogue du vieux Caire attestent la vitalité des juifs du
Nil tellement semblables dans leur mode de vie à leurs voisins coptes
et musulmans. Ils avaient un sens aigu des valeurs familiales et du respect
des parents, étaient souvent polygames et s'attachaient à
donner à leurs fils une solide éducation religieuse. Ils
étaient boutiquiers, orfèvres ou agriculteurs. Ceux qui faisaient
du commerce n'hésitaient pas à partir très loin, en
caravanes ou en bateaux, à la rencontre de coreligionnaires d'Europe,
d'Afrique et d'Asie, avec qui ils avaient mis au point un ingénieux
système de compensation d'argent par lettres de change. La communauté
d'Assouan eut longtemps à sa tête un responsable religieux
qui dépendait directement du " Nabuid " ou chef des Juifs de Fostat
ou du Caire et qui étaient leur orte-parole auprès des autorités
locales. L'arabe était leur langue parlée, mais tous les
actes religieux étaient rédigés en hébreu.
Ils avaient des organismes d'entraide qui prenaient en charge les démunis,
les malades et les orphelins. J'ajoute, et cela est resté valable
jusqu'au temps de ma jeunesse, qu'aucune communauté de province
n'abandonna dans la misère ses aînés ou ses impécunieux.
J'ai en mémoire qu'en 1956, lorsque les responsables communautaires
de Mansaurah quittèrent massivement pour l'étranger, ils
emmenèrent tout le monde qu'ils confièrent aux organismes
sociaux d'Alexandrie et du Caire.
Le temps des Fatimites 969 à 1171
Ce fut le temps où le judaïsme égyptien rivalisa
de savoir et de connaissances avec les académies de Babylone. Il
y eut la célèbre Yeshiva de Fostat et de prestigieuses écoles
talmudiques au Caire. Des liens commerciaux se nouèrent avec la
Nubie et l'Ethiopie. Les échanges avec l'Inde se faisaient principalement
par Assouan, en Haute Egypte, et par le port soudanais d'Aydhar en Mer
Rouge. Assouan devint le lieu de passage obligé des caravanes et
de la batellerie qui partaient pour l'Afrique Noire. Le jeune frère
du Rambam, David Maïmonide, était connu dans l'Egypte entière
pour les pierres précieuses dont il faisait commerce avec les Indes.
Cette soudaine prospérité enrichit considérablement
l'importante communauté d'Assouan.
L 'Intermède du Calife fou Alhakim (996 à 1020)
Le calife fanatique et mystique obligea les juifs et les chrétiens
à choisir entre la conversion ou l'exil. Les juifs d'Assouan se
réfugièrent en Nubie, en Ethiopie et au Yémen, pays
voisins. Ils retournèrent pour la plupart de leur ville natale après
la mort du tyran.
Pendant la dynastie des Ayoubides (1171 - 1250)
Il n'y eut pas de faits marquants dans la vie de la communauté
juive d'Assouan. Elle fut néanmoins influencée par les travaux
de grands savants venus de terres chrétiennes tels Moïse Maïmonide
et Anatoli Ben Youssef.
Les sombres heures des Mamelouks (1250 - 1517)
Les Mamelouks intolérants à l'extrême interdisent
la construction de synagogues nouvelles ainsi que la réfection des
anciennes. Ils supprimèrent aux juifs leur très ancien monopole
du commerce des épices et des produits exotiques. La communauté
se retrouva appauvrie et sans moyens d'existence. Beaucoup quittèrent
Assouan qui connut une longue hibernation. L'Egypte toute entière
fit une descente aux enfers de presque 3 siècles.
L'occupation ottomane
Le sultan Selim II l'Ottoman conquit l'Egypte en 1517. La situation
des juifs égyptiens s'améliore très vite et le commerce
avec les pays voisins reprit. Assouan retrouva son importance stratégique
et une communauté juive renforcée par des nouveaux arrivants.
Les juifs accédèrent à Assouan, comme dans tout l'Empire
Ottoman, aux charges de collecteurs d'impôts et de changeurs officiels.
Cela leur valut la jalousie et l'inimitié des contribuables jaloux
de ces promotions.
L'expédition française de 1798
Après avoir débarqué à Alexandrie et imposé
une lourde contribution que la communauté de la ville ne put réunir,
par représailles, Napoléon fit bombarder la Synagogue Eliahou
Hanabi qu'il détruisit. Après sa victoire des Pyramides,
il poursuivit la conquête du pays entier. J'ai déchiffré
cette fois à Assouan, dans le temple de Philae reconstruit sur une
île voisine, cette inscription: " le 13 messidor de l'an six de la
République: une armée française commandée par
Bonaparte a mis les Mamelouks en fuite aux Pyramides, et les a poursuivis
au-delà des Cataractes, où elle est arrivée le 13
ventôse de l'an sept ".
La dynastie de Mohamed Aly 1805 - 1950 Les années de lumière
Des familles venues des grandes villes du delta ainsi que de l'étranger,
s'établirent à Mineh et Beni Souef (où elles renforcèrent
les communautés existantes). La Haute-Egypte connut un développement
rapide grâce entre autre à la canne à sucre et à
ses dérivés introduits par les Cattaoui. Ce sont également
des banquiers juifs qui financèrent la ligne de chemin de fer reliant
Kanak à Assouan. Dans le même temps, des investisseurs avisés
firent construire des usines d'égrenage venues en pièces
détachées d'Angleterre et des Etats-Unis. Un cousin à
mon père, Michel Jasoel, demanda à des ingénieurs
de réaliser, à partir de ses maquettes la première
huilerie d'Egypte. Il s'agissait de presser les graines du coton égrené,
d'en extraire l'huile, et d'employer les résidus sous forme de tourteaux
qui depuis sont utilisés dans l'alimentation du bétail. Le
commerce du coton, avec la recherche de nouvelles variétés
à fibres longues, devint un modèle d'innovation. Très
vite, les mécanismes et les relais nécessaires à l'exportation
se mirent en place. Ensuite, d'autres, dont des membres de sa famille construisirent
des usines. Ce fut le temps de l'import-export, de la bourse des valeurs
et des contrats, et des premières affaires triangulaires avec l'Inde
et le Japon. Un seule génération, dans l'espace de 30 à
40 ans suffit à moderniser un pays juste sorti du Moyen Age.
Nostalgie
Dans tout Assouan, j'ai peut-être été le seul à
faire un rapprochement entre ces paysans misérables cultivant les
champs de canne à sucre à ces juifs du Nil qui avaient jadis
entendu parler des séfarades portugais d'Amérique Latine
et des Caraïbes, et de leurs connaissances du raffinage du sucre.
Les transferts de technologie s'étaient faits de communauté
à communauté par-dessus les mers et les océans. Le
coton à fibre courte de la Haute-Egypte, égrené, pressé
en balles, vendu par des courtiers de la bourse de Minet El Bassal à
des exportateurs dont beaucoup étaient juifs, parti pour l'étranger.
Le commerce du coton fut mon premier métier, et j'ai regretté
d'avoir manqué le spectacle familier des champs étoilés
de flocons blancs, duveteux et soyeux. Plus rien ne rappelle le temps de
la symbiose de deux peuples qui fut aussi celui de la tolérance
et du respect mutuel.
Survivance
J'ai retrouvé, autant à Louxor qu'à Assouan, des
succursales de magasins jadis nationalisés, qui conservent, anachronisme,
superstition et seul lien tenu avec le passé, les noms de leurs
fondateurs juifs tels Cicurel, Hannaux, Chemla, Adès, Benzion, Battebnd
et Oreco. Il m'est arrivé de changer des devises dans l'agence de
la Banque Misr à Assouan. Je n'ai pas pu me retenir de demander
au caissier éberlué, s'il savait que cette banque d'affaires,
la première du pays, avait été fondée en 1920
par les Cicurel et Cattaoui Pacha. J'étais un extra-terrestre dans
mon pays de naissance.
Si le Nil m'était conté
A Abou Simbel, les géants de pierre regardent, de leurs paupières
pesantes, le Nil grossi jusqu'à devenir une mer chargée d'alluvions.
J'ai pensé à la première des dix plaies d'Egypte annoncées
par Moïse. Le Nil courroucé avait vu ses flots se changer en
sang. Des images se sont ensuite superposées à ce spectacle
fait de roche et d'eau. Elles reprenaient, telles une marche des siècles,
les moments forts des hébreux en Egypte. Elles firent la part belle
à mon imagination car nul ne saura jamais comment se sont faites
ces migrations successives. Au début, pendant qu'ils étaient
esclaves en Egypte, des hébreux seraient partis très loin,
le long des rives du Nil à la fois familier et protecteur. Ils cherchaient
à fuir les corvées et les sévices qui leur étaient
infligés. Une légende falasha relate que Moïse, alors
prince d'Egypte, remporte une grande victoire sur les Ethiopiens qui cherchaient
à détourner les eaux du Nil. Il scella ensuite la paix et
une nouvelle alliance en épousant la princesse noire Tharbis. La
seconde femme de Moïse, Sephora, citée dans la bible, avait
été aussi une Ethiopienne noire. Les rescapés des
dix tribus capturées par les Assyriens en 722 avant J.C. auraient
à leur tour emprunté la grande voie fluviale.
Les falashas affirment appartenir à la turbulente tribu de Dan célèbre à la fois par le courage de ses guerriers et la connaissance des mers de ses navigateurs. Déjà au temps du roi Salomon, les Danites faisaient du cabotage et du commerce depuis la Mer Rouge jusqu'à l'Océan Indien. En 684 avant J.C., les tribus de Naphtali, de Gad et d'Asher partirent, dit-on, à leur tour pour le pays de l'or. C'était le nom donné à l'Ethiopie.
Au 7ème siècle avant J.C., une colonie militaire était en garnison dans l'île d'Ieb, sur le Nil, aux portes mêmes de l'Ethiopie, et défendait les frontières reculées de l'Empire Perse. D'autres colonies militaires étaient cantonnées depuis l'Ile Eléphantine jusqu'au-delà de la Nubie. Il semblerait qu'une partie de ces guerriers mécontents, mal payés ou sentant venir le déclin de l'Empire Perse, allèrent offrir leurs services aux rois éthiopiens.
En 587 avant J.C., date de la chute de Jérusalem, des hébreux habitant Pathros en Haute-Egypte et la Nubie proche, partirent en Ethiopie. Ils furent rejoints par des réfugiés judéens qui avaient réussi à échapper aux Babyloniens. Plus tard, 35 ans avant J.C., des hébreux qui avaient soutenu Cléopâtre vaincue par César, partirent par prudence pour la Nubie, le Soudan et l'Ethiopie.
Entre les années 66 et 70 après J.C., eut lieu la révolte des zélotes contre Rome. Jérusalem tomba la première, et le temple brûla. Ensuite la forteresse de Massada succomba à son tour, et ses défenseurs se donnèrent la mort. Des groupes de zélotes survécurent , se cachèrent dans le désert et osèrent la folle aventure de la traversée de l'Egypte et de la descente du Nil. Les routes côtières étant tenues par les romains, ils s'enfoncèrent jusqu'au coeur même de l'Afrique Noire.
Entre les années 115 et 117 après J.C. les juifs d'Egypte prirent à leur tour les armes contre Rome. Le soulèvement concerté commença à Cyrène en 115 et s'étendit jusqu'à Chypre et en Mésopotamie. Les combattants du désespoir, dans un rêve fou messianique tentèrent de couper les voies de communication de l'armée romaine, d'occuper Alexandrie, son port et ses greniers à blé, et ensuite de reconquérir Jérusalem. La communauté égyptienne fut anéantie les armes à la main. Ce fut le dernier combat, celui de la dernière chance. Après la révolte d'Egypte, les hébreux ne furent plus dans le monde que des esclaves ou des réfugiés persécutés plus tard par l'Eglise catholique. Là aussi, des fuyards se réfugièrent en Nubie, au Soudan et en Ethiopie. Ces guerriers défaits prirent le chemin du sud, celui des montagnes de la lune et des grands lacs. Puis, pendant la longue marche des siècles qui suivirent, des marchands, des exilés, des aventuriers partirent à leur tour le long du Nil chercher refuge ou fortune. Des contacts entre ces juifs devenus noirs éthiopiens et africains se poursuivirent par intermittence avec la communauté d'Egypte d'abord, puis avec celle du Yémen dont ils n'étaient séparés que par un bras de mer. Sur les rives du Nil d'aujourd'hui les juifs ont cessé d'entreprendre et de vivre. Les premiers nés des Egyptiens ont cessé de mourir. Seuls quelques touristes nostalgiques, dont je suis, évoquent les temps anciens où les Hébreux cherchèrent asile aux pays des éléphants, des girafes et des hippopotames, et fondèrent un royaume qui dura 2.000 ans.
Lorsque l'hébreu et l'araméen furent oubliés, que la négritude devint la règle, il subsista chez les enfants des rescapés du Nil, porteurs d'étranges coutumes, d'un judaïsme mosaïque, la connaissance du seul pentateuque et l'observance des dix commandements gravés dans leurs coeurs comme jadis dans le bloc de pierre arraché au Mont Sinaï et ramené par Moïse, l'élu du Tout Puissant, à son peuple.
La tribu retrouvée, les Falashas
Au 9ème siècle, un mystérieux voyageur, Eldad
Hadani, stupéfia le monde juif en révélant qu'il appartenait
à la tribu de Dan qui avait survécu, isolée à
l'est de l'Afrique, dans une région montagneuse de l'Ethiopie. Au
12ème siècle en France, et au 13ème siècle
en Allemagne, des commentaires de rabbins attribuaient un code de loi aux
juifs d'Ethiopie.
Trois siècles après Eldad, Benjamin de Tolède mentionna à son tour l'existence des Falashas en Ethiopie, descendants d'après ce qu'il avait pu comprendre des dix tribus perdues.
En 1438, un juif italien Elijad de Ferrare révéla qu'il avait rencontré à Jérusalem un Danite qui lui avait révélé que les Falashas parlaient une langue différente de l'hébreu, et qu'ils possédaient un vaste royaume entouré de montagnes et défendu par une armée puissante.
Au 15ème siècle, le Rad Baz d'Egypte, David Ben Zimra, confronté au problème de la judaïté des Falashas, rendit le jugement suivant:: les Falashas descendent bien des tribus d'Israël qui avaient jadis émigré à Kush. Il valida en conséquence le mariage entre un juif égyptien et une femme falasha. Ce jugement a fait jurisprudence religieuse jusqu'à ce jour et a été reconnu valable par le Grand-Rabbin séfarade actuel de Jérusalem.
En 1908, Haïm Naoum, futur grand-rabbin du Caïre partit pour le Bondar en Ethiopie, à la demande de l'Alliance Israélite Universelle. il enquêta sur l'origine de cette mystérieuse communauté noire dont on commençait à se préoccuper depuis peu. Il émit l'hypothèse qu'il s'agissait de " mosaïstes " convertis au 2ème ou au 3ème siècle par des juifs venus d'Egypte.
La longue marche vers le sud
Il n'existe pas d'histoire écrite des migrations des Hébreux
en direction de l'Afrique Noire. Pourtant, tout au long des siècles,
des groupes quittèrent la Judée puis l'Egypte pour remonter
le fleuve mystérieux du Nil. Il existe à leur sujet de nombreuses
légendes africaines, auréolées de mystère,
dont il est impossible de démêler le vrai de l'imaginaire.
Les Ghanéens se disent issus de la lignée du roi Salomon.
Ils comptèrent une dynastie de quarante-quatre rois blancs successifs.
La tribu des Mavumumbu du Congo observent les fêtes juives. Les Lembas
du Zimbabwé et d'Afrique du Sud ne mélangent pas le lait
avec la viande et affirment être issus d'une tribu juive. Fait troublant,
ils font la bénédiction du vin et se lavent rituellement
les mains avant chaque repas. En Erythrée, les Tabiban observent
le shabat et pratiquent la circoncision des garçon au 8ème
jour. Il est enfin les Falashas, fossiles vivants d'un judaïsme antique
antérieur à la destruction des 2 temples de Jérusalem,
qui revinrent récemment en Israël sur les ailes des aigles,
comme l'avaient fait leurs frères du Yémen il y a cinquante
ans. Leur histoire est intimement liée à l'incroyable odyssée
de ces juifs d'Egypte partis jadis à la conquête du continent
noir.
Je suis noire, fille de Jérusalem et désirable comme les pavillons de Salomon. Ne me regardez pas parce que je suis noire car le soleil m'a brunie - Cantique des Cantiques
Ces hébreux, fuyards, guerriers, voyageurs et commerçants,
après avoir quitté l'Egypte, la Nubie et le Soudan, rencontrèrent
un monde à la fois nouveau et effrayant par ses différences.
Il leur fallut faire appel à des interprètes, se familiariser
avec d'étranges coutumes, négocier l'achat de nourriture,
s'assurer les services de guides qui refusaient d'aller plus loin que les
limites de leur propre ethnie, apporter une aide technique et des connaissance
précieuses, comme le travail de l'or et de la forge, et enfin prendre
contact avec les caravaniers et les barquiers du Nil Bleu et du Nil Blanc.
Cette migration sur l'axe des 6.500 kilomètres du Nil se poursuivit
pendant mille ans, essentiellement du Nord au Sud. Avant de se sédentariser
et de devenir des africains parmi d'autres africains, ils contribuèrent
au développement des échanges entre 2 mondes qui se mêlent
à partir de la Nubie. C'est en grande partie par leur intermédiaire
que partaient vers l'Asie et l'Europe la poudre d'or, l'ivoire, l'encens
et les peaux.
La diaspora juive d'Afrique Noire
Une excursion jusqu'à la frontière soudanaise m'a fait
percevoir la géographie et le relief de la Nubie d'avant la retenue
de cette nouvelle réalisation, le lac Nasser. Après la première
cataracte, la vallée du Nil s'encaissait en une gorge profonde surplombée
d'énormes blocs de pierres couleur fer jusqu'à Korosko, là
où le fleuve forme une large boucle orientée vers le nord.
Les hébreux prirent obligatoirement la route que surplombait les
colosses d'Abou Simbel, édifiés par Ramsès II (XXème
dynastie) qui commémoraient sa victoire sur Cheta au nord-est de
la Syrie. Savaient-ils que ces statues géantes de pierre ocre, au
sourire énigmatique, étaient contemporains de la sortie d'Egypte
sous la conduite de Moïse? Ils se dirigèrent ensuite vers le
Soudan où après Wadi Halfa ils virent la 2ème cataracte
distante de 1.500 kilomètres de Khartoum. Là, le Nil se ruait
furieusement à travers des dédales de rochers et musclait
son ventre de pierre avant de s'étaler autour de 353 îles
verdoyantes. Plus loin, l'environnement changeait encore et se métamorphosait
en volcans endormis et collines désertiques. A Athara, le Nil recevait,
telle une offrande rituelle, son premier affluent. C'est là qu'avaient
été érigées les dernières pyramides
pharaoniques, celles de Meroe, aux formes pointues. Les bas reliefs des
temples représentaient des divinités aux traits négroïdes.
Plus loin encore, dans le triangle fertile fermé par la rencontre
du Nil Blanc et du Nil Bleu, la végétation devenait tropicale
et comptait d'immenses Ficus, des arbres à saucissons et des baobabs
citernes qui gardent dans leurs troncs creux une réserve d'eau fraîche.
Les habitants vivaient dans des huttes rondes en terre au toit de chaume
conique. Ensuite, la piste traversait un désert brûlé
par le soleil avec de temps à autre des arbres qui poussaient épars
et de la sève desquels on tirait la gomme arabique. Puis le désert
laissait la place à des forêts équatoriales, des marais
impénétrables et des savanes touffues. C'était le
pays des lions, des hippopotames, des girafes et des éléphants,
aux pluies torrentielles.
Des tribus guerrières et farouches formées de grands hommes
noirs, empanachés de plumes d'autruches et d'ornements en ivoire
vivaient de la chasse. Ils lançaient le javelot avec une adresse
prodigieuse. La nuit, près de l'eau, on pouvait entendre pleurer
les crocodiles qui attendaient, immobiles comme des arbres morts, le passage
des proies. Il y a eu forcément, dans le cadre des alliances, des
mariages avec des jeunes filles noires, belles comme des statues d'ébène
et à l'élégance hiératique. Comment ces mercenaires
hébreux envoyés en renfort par l'Empire Perse sur le Nil
Bleu ont-ils réussi à perpétuer, par leurs enfants,
le judaïsme et l'amour de la lointaine Jérusalem ? Ont-ils
suivi à marches forcées le Nil Blanc, puis son affluent la
Sabat navigable jusqu'en Ethiopie ? Une chose est sûre, la greffe
avec l'Afrique Noire a réussi. Elle pourrait avoir duré 2.500
ans. Le Nil paisible d'Assouan est loin. L'hybride a fleuri au sommet des
montagnes 'Ethiopie et son mystère subsiste.