Les exportations espagnoles de produits de haute technologie : évolution jusqu’en 2023
Cette étude se penche sur les exportations et importations espagnoles de produits technologiques de pointe. En 2022, l’Espagne se situait au seizième rang de l’UE27 en termes d’intensité d’exportation, avec une progression par rapport à 2014 et 2018. Cependant, un déficit commercial de 16,8 milliards d’euros a été enregistré en 2023 pour ce secteur, principalement en raison des produits électroniques et des télécommunications, qui ont affiché un déficit de 11,1 milliards d’euros. Suivaient le matériel informatique et l’instrumentation scientifique. Dans les secteurs excédentaires (armement, machines non électriques, aéronautique et pharmacie), les excédents étaient modestes, ne dépassant pas 700 millions d’euros. Notamment, le secteur pharmaceutique a connu des exportations élevées vers la Belgique entre 2021 et 2023. Étant donné l’importance de l’industrie technologique pour la compétitivité, il est crucial d’élaborer une stratégie consolidant les avancées récentes, permettant de réduire l’écart technologique avec l’extérieur et de renforcer la position de l’Espagne dans ce domaine.
Introduction
La corrélation entre les exportations de produits technologiques et la croissance économique est bien établie (Falck, 2009), et l’intérêt pour les déterminants de ces exportations a récemment augmenté. Sepehrdoust et al. (2021) se penchent sur l’influence de la productivité scientifique, tandis qu’Özsoy et al. (2022) s’intéressent à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. Navarro Zapata et al. (2022) identifient plusieurs facteurs positifs liés à l’économie de la connaissance, et Adbullah et al. (2023) démontrent l’impact favorable de l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Manzetti et Osang (2024) mettent en avant l’importance de la qualité des institutions de gouvernance et de la stabilité des réglementations.
Ce sujet est aussi pertinent pour la politique économique. Le rapport récent de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité dans l’UE souligne que l’absence de clusters rassemblant universités, centres de recherche, grandes entreprises, start-ups et investisseurs en vue de commercialiser des produits de haute technologie constitue un frein majeur à l’amélioration de la compétitivité de l’UE (Draghi, 2024, p. 25). Les exportations de produits technologiques peuvent être considérées comme un bon indicateur de la présence et de l’efficacité de ces clusters.
Pour enrichir ce débat, cet article apporte les données les plus récentes sur les exportations espagnoles de haute technologie, tout en continuant et en proposant de nouvelles analyses par rapport aux travaux antérieurs (Xifré, 2014, 2018, 2020, 2023).
Pour cette étude, nous adoptons la définition des secteurs de haute technologie selon les critères de l’OCDE et d’Eurostat, en considérant neuf secteurs : aérospatial, matériel informatique, électronique et télécommunications, pharmacie, instrumentation scientifique, machinisme électrique, secteur chimique, machinisme non électrique et armement. L’analyse s’appuie sur deux sources de données d’Eurostat. La première est une statistique spécifique qui mesure l’intensité d’exportation dans les produits de haute technologie. La seconde, utilisée tout au long du travail, repose sur des microdonnées, traitées correctement, fournies par Comext, qui offre des données de commerce international au niveau détaillé (HS de 6 chiffres).
Intensité d’exportation des produits de haute technologie au sein de l’UE
Le graphique 1 illustre la proportion des exportations de produits de haute technologie par rapport au total des exportations de biens pour les pays de l’UE au cours des années 2014, 2018 et 2022 (dernière donnée disponible). En 2022, l’Espagne était au seizième rang avec une intensité de 8,46 %. Bien que cette position reste en bas de la distribution, elle représente un progrès considérable par rapport à 2018 (25e position, 5,5 %) et 2014 (24e position, 5,1 %). Il convient de noter que l’ensemble de l’UE a progressivement augmenté son intensité d’exportation en produits de haute technologie, de 15,3 % en 2014 à 17,3 % en 2022.
En tête de la distribution en 2022 figurent deux économies de petite taille (Irlande et Malte), tandis que les Pays-Bas, première économie de taille significative, ont maintenu une intensité d’exportation de 20 % sur les trois années considérées. L’Allemagne affiche un profil encore plus stable avec une concentration presque constante à 15 %. La France a toujours devancé l’Espagne, alors que l’Italie l’a devancée en 2014 et 2018, mais l’Espagne l’a dépassée d’un rang en 2022.
Solde net des exportations espagnoles de haute technologie
Le graphique 2 représente les exportations et importations espagnoles ainsi que le solde net des produits de haute technologie entre 2013 et 2023. À partir de maintenant, les données proviennent de Comext d’Eurostat.
Il est évident que le solde de la balance des produits technologiques a toujours été déficitaire durant la période étudiée, connaissant un détérioration progressive. Le déficit, qui était de 7,2 milliards d’euros en 2013, a plus que doublé pour atteindre 16,8 milliards d’euros en 2023. Au cours de la série analysée, tant les exportations que les importations ont connu, après la crise du COVID-19, des croissances bien supérieures à celles des années précédentes en 2021 et 2022. En outre, 2023 a enregistré la plus forte chute de toute la série pour les deux flux, indiquant probablement un processus d’ajustement face à l’anomalie des deux années précédentes.
Il est évident que le solde de la balance des produits technologiques a toujours été déficitaire durant la période étudiée et a connu un détérioration progressive. Le déficit, de 7,2 milliards d’euros en 2013, a plus que doublé pour atteindre 16,8 milliards d’euros en 2023.
Le graphique 3 dissèque le déficit agrégé des exportations espagnoles par les contributions des principaux groupes de produits pour la période 2013-2023, et le graphique 4 détaille les exportations et importations en 2023 pour tous les groupes de produits selon la valeur des exportations. Voici un aperçu des graphiques suivants.
Les deux graphiques montrent que le secteur qui contribue le plus au déficit total est celui de l’électronique et des télécommunications, dont le déficit a augmenté de 4,8 milliards d’euros en 2013 à 11,1 milliards en 2023, représentant ainsi deux tiers du déficit total cette année-là. Les secteurs suivants ayant le plus contribué au déficit total en 2023 sont le matériel informatique (déficit de 4 milliards) et l’instrumentation scientifique (3,7 milliards).
Inversement, aucun des secteurs en excédent n’atteint 700 millions d’euros de solde positif. Les quatre principaux sont l’armement (683 millions), suivi de la machine non électrique (624 millions), de l’aéronautique (603 millions) et de la pharmacie (578 millions). Le secteur chimique présente une valeur nettement inférieure (281 millions).
L’évolution temporelle illustrée par le graphique 3 révèle un comportement anormal du secteur pharmaceutique en 2022, avec un solde positif de 6,787 millions d’euros, contraste avec les déficits chroniques observés entre 2013 et 2021 et le modeste excédent de 579 millions en 2023. Cet aspect sera approfondi dans une section ultérieure.
Concentration géographique des exportations et importations
Le graphique 5 illustre, pour 2023, les exportations espagnoles de produits de haute technologie vers les 20 principaux pays destinataires, sous forme de barres, et, en ligne, la part que représente la somme cumulée des exportations depuis le premier pays jusqu’au pays en question sur les exportations totales.
Les six premiers marchés totalisent près de 60 % des exportations espagnoles. Le premier pays destinataire, la Belgique, représente 17,4 % du total, suivie par la France (environ 11 %) et l’Allemagne (environ 8 %). En fait, sept des neuf premiers pays destinataires font partie de l’UE, à l’exception du Royaume-Uni et des États-Unis. Collectivement, ces 20 destinations représentent environ 82 % des exportations totales.
Entre 2013 et 2020, les principaux marchés étaient la France et l’Allemagne. La Belgique a fait une apparition marquée et sans précédent en 2021 (5,792 milliards d’euros), des performances écrasantes en 2022 (13,158 milliards) et a maintenu sa position de leader en 2023 (4,624 milliards).
En se concentrant sur les six principales destinations (Belgique, France, Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis et Portugal), le graphique 6 retrace les exportations espagnoles vers ces pays entre 2013 et 2023. Comme observé, entre 2013 et 2020, les principaux marchés étaient la France et l’Allemagne. La Belgique a vu ses exportations exploser en 2021, réalisant 5,792 milliards d’euros, atteignant 13,158 milliards en 2022, et restant le premier pays destinataire en 2023 avec 4,624 milliards. Un examen plus minutieux de cette hausse des exportations espagnoles vers la Belgique révèle que le secteur pharmaceutique joue un rôle clé. Le graphique 7 illustre les exportations espagnoles vers la Belgique pour cette catégorie de produits entre 2019 et 2023.
Il est palpable que, en confrontant les données du graphique 7 avec celles du graphique 2, on observe une concentration inhabituelle et très importante des exportations espagnoles de produits de haute technologie vers la Belgique, spécifiquement dans le secteur pharmaceutique. En 2022, cette combinaison secteur-pays a constitué 37 % des exportations totales (22 % en 2021 et 16 % en 2023). Bien qu’il soit nécessaire d’analyser plus en profondeur les raisons de ce comportement atypique, il est raisonnable de penser que cela ne résulte pas uniquement de la demande belge en produits espagnols, mais pourrait également être lié à une réallocation d’activités productives au sein de ce secteur.
Pour compléter cette étude, nous avons analysé la concentration des importations espagnoles de produits de haute technologie. Le graphique 8 est similaire au graphique 5 mais présente la valeur des importations. Comme on peut le constater, les importations espagnoles sont encore plus concentrées que les exportations, avec six principales sources (Pays-Bas, Allemagne, Chine, États-Unis, Italie et France) représentant environ 70 % des importations totales.
Au cours de dix des onze dernières années, le principal pays d’origine des importations espagnoles a toujours été les Pays-Bas, suivis de l’Allemagne et de la Chine en troisième position.
Le graphique 9 est une version analogue au graphique 6 et présente les importations espagnoles en provenance des six principales sources. Comme on peut le constater, le motif géographique des importations est plus stable que celui des exportations. Durant dix des onze années observées, les Pays-Bas ont été le principal pays d’origine des importations espagnoles, suivis de l’Allemagne et de la Chine. La seule exception a été en 2022, où la Chine a été le principal fournisseur de produits importés de haute technologie (avec 7,307 milliards d’euros), principalement composés de produits électroniques et de télécommunications.
Conclusions
Les exportations de produits technologiques, au-delà de leur impact direct sur la richesse et le progrès, constituent un excellent indicateur de la santé de l’écosystème innovant d’un pays. Pour exporter des produits technologiques, il est essentiel de maîtriser l’ensemble du cycle technologique et d’innovation : accès à la science fondamentale, capacité d’adaptation des innovations, et connaissance adéquate des marchés internationaux pour ces produits de niche.
De cette perspective, l’analyse de la période 2013-2023 montre des résultats ambivalents. D’un côté, l’Espagne a clairement convergé avec le reste de l’UE27 en termes d’intensité technologique de ses exportations. Lorsqu’elle se classait à la traîne en 2014 et 2018, elle a atteint la 16ème position en 2022. Cependant, ces bons résultats coexistent avec un déficit croissant de la balance commerciale technologique : chaque année, l’Espagne devient plus dépendante des importations en matière de technologie. Cette dépendance est particulièrement marquée dans les domaines de l’électronique, des télécommunications, du matériel informatique et de l’instrumentation scientifique. En revanche, il existe de modestes excédents dans le secteur de l’armement, des machines non électriques, de l’aéronautique et de la pharmacie, ce dernier étant en grande partie attribuable à l’augmentation atypique des exportations vers la Belgique.
Comme l’a récemment souligné Mario Draghi (Draghi, 2024), l’investissement dans la technologie et l’amélioration de la productivité sont essentiels pour maintenir le modèle social européen et peut-être même pour la survie de l’UE elle-même. Dans son rapport, Draghi propose plusieurs mesures spécifiques visant plusieurs secteurs technologiques dans lesquels l’Espagne est déficitaire. Il est également crucial de ne pas négliger l’importance de politiques transversales (dans l’éducation, la stabilité de l’investissement en R&D et l’amélioration de la réglementation) afin que les politiques sectorielles soient efficaces. Bien que les défis soient indéniablement considérables, nous sommes dotés de diagnostics et de recommandations bien adaptés.
Notes
* IQS School of Management, Universitat Ramon Llull
Références
Addullah, A., Ibrahim Avsar, I., et Turan, T. (2023). La participation aux chaînes de valeur mondiales booste-t-elle les exportations de haute technologie ? Journal of International Development, 35, 820-837.
Draghi, M. (2024). L’avenir de la compétitivité européenne. Partie A. Une stratégie de compétitivité pour l’Europe. Commission européenne.
Falck, M. (2009). Les exportations à haute technologie et la croissante économique dans les pays industrialisés. Applied Economics Letters, 16, 1025-1028.
Manzetti, L., et Osang, T. (2024). Les exportations à haute technologie et les institutions de gouvernance. PS: Political Science & Politics, 57(3), pp. 346–355.
Navarro Zapata, A., Arrazola, M., et de Hevia, J. (2022). Déterminants des exportations de haute technologie : Nouvelles preuves des pays de l’OCDE. Journal of the Knowledge Economy, 15,1103-1117.
Özsoy, S., Şehvez Ergüzel, O., Yağmur Ersoy, A., et Saygili, M. (2022). L’impact de la numérisation sur l’exportation de produits de haute technologie : Une approche de données de panel. The Journal of International Trade & Economic Development, 31(2), 277-298.
Sepehrdoust, H., Tartar, M., et Davarikish, R. (2021). La productivité scientifique stimule-t-elle les exportations de technologie intensifiée dans les économies en développement. Journal of Knowledge Economy, 12, 2111–2135.
Xifré, R. (2014). Quatre ans de réformes économiques en Espagne : une analyse des résultats du point de vue de l’UE. Cuadernos de Información Económica, 242, 49-57.
Xifré, R. (2018). Investissement en R&D et innovation après la crise : secteur public et secteur privé. Cuadernos de Información económica, 265, 13-24.
Xifré, R. (2020). Les exportations espagnoles de haute technologie. Cuadernos de Información Económica, 278, pp. 69-75.
Xifré. R. (2023). Politique industrielle dans l’UE et en Espagne : débats récents. Cuadernos de Información económica, 295, 41-48.
Ma Vision
Dans un monde où la technologie évolue à un rythme effréné, il est impératif que l’Espagne développe une approche proactive pour son secteur technologique. Le rapport constatant un déficit croissant dans les exportations de haute technologie souligne la nécessité d’une réforme systémique. Investir non seulement dans l’innovation, mais aussi dans l’éducation et la formation, pourrait aider à réduire cette dépendance extrême vis-à-vis de l’extérieur. À travers l’établissement de clusters efficaces regroupant acteurs académiques, industriels et gouvernementaux, l’Espagne pourrait non seulement renforcer sa compétitivité, mais également façonner son propre chemin vers une économie durable et technologique, évitant ainsi de devenir simplement un consommateur des avancées technologiques d’autres nations.
- Source image(s) : www.funcas.es
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