La Secrétariat du Travail du Mexique, après avoir échangé avec plus de 30 plateformes numériques, a proposé de réformer la Loi Fédérale du Travail pour inclure un chapitre spécifique pour les conditions de travail dans des applications telles qu’Uber, Didi et Rappi. Cette réforme s’inspire de régulations récentes mises en place en Espagne et en Chili, visant à réduire les inégalités numériques et sociales qui touchent des millions de travailleurs. De plus, après que le gouvernement espagnol ait infligé des amendes à Glovo pour non-respect de la Loi Rider, l’entreprise a décidé d’embaucher des livreurs. Cependant, ces initiatives ne rencontrent pas toujours l’adhésion parmi les personnes travaillant pour ces applications, soulevant la question suivante : peut-on envisager des régulations du travail numérique qui respectent les droits des travailleurs tout en prenant en compte leurs besoins spécifiques ?
Un contexte de déséquilibre et précarité
En Amérique Latine, les inégalités structurelles constituent un terreau fertile à la précarité du travail numérique. Les disparités en matière d’accès à la technologie et à l’éducation numérique isolent les secteurs les plus marginalisés, créant une séparation entre ceux qui profitent de l’économie numérique et ceux qui la subissent dans une grande vulnérabilité.
Dans ce contexte, les plateformes de travail localisé apparaissent comme une alternative rapide et simple pour la génération de revenus. Néanmoins, elles fonctionnent principalement sans cadres réglementaires clairs, privant les travailleurs d’une protection sociale et de prestations de base. Ces derniers sont contraints de couvrir les coûts d’exploitation et de maintenance de leurs outils de travail, sans garanties de revenus stables en retour. Les plateformes ne fournissent ni couverture en cas d’accidents ou de maladies, ni protection contre les décisions unilatérales de suspension ou de blocage, lesquelles peuvent découler de l’inobservation de certaines métriques, telles que le taux d’acceptation de commandes. Un déséquilibre s’installe ainsi, brouillant la frontière entre service autonome et dépendance au travail.
Ainsi, nous sommes amenés à nous interroger : pourquoi donc la réglementation n’est-elle pas bien accueillie par ceux qui travaillent avec ces applications ? La dichotomie entre travail flexible et relation de dépendance génère l’idée qu’une réglementation pourrait dissiper les principaux attraits de cette forme d’emploi, notamment sa flexibilité. Il est essentiel de souligner que tandis que bon nombre de travailleurs exploitent ces apps pour un revenu complémentaire, d’autres dépendent exclusivement de celles-ci, ce qui peut engendrer des journées de travail très longues, le temps de connexion n’étant pas toujours rémunéré. Selon les rapports de Fairwork, qui analysent la rémunération horaire de ces emplois, le niveau de rémunération décent demeure très faible tant au niveau régional que mondial. Ceci est particulièrement préoccupant dans des pays comme l’Argentine, où plus de 50 % des livreurs et conducteurs sondés déclarent travailler plus de 45 heures par semaine. En l’absence de prestations sociales de base, cette situation illustre une précarité évidente.
Ces questions soulignent la nécessité urgente d’instaurer des cadres réglementaires pour protéger les travailleurs des plateformes et garantir des conditions de travail dignes. Certains pays de la région commencent à se doter de normes en ce sens, que nous allons brièvement analyser ci-après.
Progrès réglementaires
La région latino-américaine se distingue par ses différentes initiatives et approches en matière de régulation. Au Mexique, au Brésil et en Uruguay, le débat se concentre sur la reconnaissance de la relation de travail. Tandis qu’au Costa Rica et en Colombie, les projets de loi visent à établir des contributions pour la santé et la sécurité sociale. Des initiatives existent également pour les plateformes de transport de passagers, comme en Équateur et en Bolivie, où celles-ci fonctionnent sur un modèle de licences d’exploitation permettant une certaine supervision gouvernementale. Cependant, la plupart des pays de la région résistent encore à l’absence de normes ou d’initiatives sur ce sujet. Une grande partie de ces informations peut être consultée sur WageIndicator, un portail qui centralise les actualités réglementaires à l’échelle mondiale.
Face à une telle conjoncture, et alimentée par une pression sociale pour de meilleures conditions de travail, le Chili a franchi une étape significative avec la Loi n° 21.431. Mise en œuvre en 2022, cette loi reconnaît des droits tels que la syndicalisation, l’assurance contre les accidents et l’accès à la sécurité sociale, tout en préservant la flexibilité des horaires. Toutefois, selon une récente évaluation menée par Fairwork au Chili, la régulation n’est pas toujours effective. Dans de nombreux cas, les travailleurs restent ignorants des droits qui leur incombent sous ces nouvelles lois, ce qui limite leur capacité à les revendiquer. De plus, une enquête de l’OIT au Chili démontre que 60 % des travailleurs de plateforme exercent toujours leurs tâches dans des conditions d’informalité.
Le fossé réglementaire associé à la méconnaissance des droits fondamentaux en matière de travail permet aux plateformes d’imposer leurs propres conditions. C’est ainsi qu’en Espagne, les plateformes de livraison ignoraient les conditions définies par la Loi Rider, mais après que le gouvernement a ordinalement appliqué des sanctions, les entreprises ont choisi d’adhérer à cette initiative en adoptant un modèle de contrat de travail.
Les régulations visent à établir des frontières et des protections minimales, permettant aux travailleurs d’accéder à des droits essentiels sans pour autant abolir la flexibilité qui caractérise ces emplois. La proposition mexicaine se révèle intéressante en raison de la reconnaissance de la sousordination discontinue, ce qui permet aux travailleurs de conserver la flexibilité dans leur emploi du temps tout en garantissant que le temps effectivement travaillé est soutenu par des prestations sociales et un droit à la déconnexion. De surcroît, elle envisage de mettre en place des mécanismes de transparence concernant les algorithmes de répartition des tâches et d’intégrer une perspective de genre pour aborder les cas de harcèlement.
Cependant, la régulation ne doit pas être perçue comme une finalité, mais comme un point de départ. Il est essentiel que ces efforts soient accompagnés de campagnes de sensibilisation à l’échelle régionale, informant les travailleurs sur leurs droits, les points où ils sont vulnérables et les outils à leur disposition pour réagir. Ces initiatives doivent garantir que les algorithmes utilisés par les plateformes respectent la dignité et les droits des travailleurs, et qu’il existe des mécanismes de supervision, d’audit et de régulation de l’usage des données.
La voie vers un environnement numérique plus équitable dans la région nécessitera des efforts coordonnés et durables impliquant gouvernements, organisations de la société civile, syndicats et entreprises, afin d’assurer que la numérisation serve la justice et l’inclusion, et ne reproduise pas les inégalités existantes.
Notre Point de vue
Face à l’accroissement des inégalités dans le monde du travail numérique, il est crucial pour l’Europe de prendre acte de l’importance d’établir des régulations qui protègent les droits des travailleurs tout en favorisant leur flexibilité. Une réglementation qui allie protection des droits et respect des besoins des travailleurs pourrait se révéler bénéfique non seulement pour les individus concernés, mais aussi pour le bon fonctionnement de l’économie numérique dans son ensemble. L’expérience des pays européens, tels que l’Espagne et le Chili, pourrait guérir les lacunes observées ailleurs, en montrant que la flexibilité ne doit pas être synonyme de précarité, mais peut coexister avec desreconnaissances claires des droits.
- Source image(s) : www.derechosdigitales.org
- Source : https://www.derechosdigitales.org/24645/autonomia-bajo-control-la-paradoja-de-la-flexibilidad-en-el-trabajo-digital/