La numérisation constitue le moteur du monde. Au-delà des nouvelles tendances et projections, la quatrième révolution, portée par l’intelligence artificielle, a déjà débuté et le Chili se trouve face à une opportunité exceptionnelle. Beaucoup de discours ont été tenus sur l’économie numérique en tant que génératrice d’emplois de qualité et d’opportunités d’exportation. À présent, il est temps de franchir une étape supplémentaire et de faire de cette économie l’un des piliers du développement national. Atteindre cet objectif est envisageable, mais cela exige de créer des synergies en matière d’action, de vision et de collaboration entre les secteurs productif, étatique et social.
![Image d'une main tenant un smartphone](https://www.sefarad.org/toup/2025/01/Chili-et-lEconomie-Numerique-il-est-temps-de-passer.jpg)
Une particularité à souligner est le phénomène leap-frog (saut de grenouille). Si l’on entreprenait de représenter la révolution numérique comme un chemin parsemé de pierres dans une mare, chaque pays serait une grenouille sautant d’une pierre à l’autre. Ainsi, le Chili serait cette grenouille qui, bien qu’elle n’ait pas encore beaucoup avancé, a la possibilité d’observer et de s’inspirer de modèles plus établis, voire même de les améliorer. Il n’est pas nécessaire de se tourner uniquement vers les économies les plus avancées.
À titre d’exemple, l’Estonie a connu une crise économique sévère après son indépendance de l’Union soviétique en 1991. Manquant de ressources naturelles, ce pays a misé sur la technologie et le savoir comme fondements de sa reprise. L’introduction de la loi sur le commerce électronique et la stratégie de société de l’information à la fin des années 90 a jeté les bases d’un environnement numérique solide. Aujourd’hui, l’Estonie est un modèle mondial en matière de numérisation, de gouvernance électronique et de startups technologiques, au point d’être surnommée “le Silicon Valley de la Baltique” et de voir naître des entreprises comme Skype.
Par ailleurs, des pays tels que l’Irlande et la Pologne se distinguent en ayant mis en œuvre des politiques fiscales proactives pour soutenir des secteurs clés, facilitant ainsi les opérations économiques et attirant des investissements mondiaux. L’Irlande a su séduire avec un taux d’imposition des sociétés bas de seulement 12,5 %, attirant ainsi des multinationales du secteur technologique, pharmaceutique et financier. Combiné à une main-d’œuvre hautement qualifiée et des pôles technologiques, comme le Silicon Docks à Dublin, cela a propulsé le pays au rang d’incontournable économique mondial.
De son côté, la Pologne a également opté pour des incitations fiscales en faveur des entreprises investissant dans différentes zones économiques, tout en favorisant l’investissement en recherche et développement. Ces politiques, associées à une main-d’œuvre compétitive et à des programmes encourageant l’innovation, ont permis à la Pologne de se positionner parmi les principaux exportateurs mondiaux de services basés sur le savoir, atteignant l’an passé 35 milliards USD d’exportations dans ce domaine.
À l’échelle régionale, il serait judicieux d’examiner le cas de l’Argentine : en 2021, ce pays a exporté cinq fois plus que le Chili. Bien qu’il présente des caractéristiques de marché différentes et des défis en matière d’infrastructure et de salaires, l’Argentine a su instaurer une loi de promotion de l’économie du savoir qui, malgré certaines lacunes, a façonné un cercle vertueux pour les entreprises et la société dans son ensemble au sein d’une industrie générant 800 milliards de dollars dans le monde. Indépendamment de l’orientation politique, cette loi est restée en vigueur et la majorité des unicorne argentines y est liée.
Depuis 30 ans, l’économie du savoir devient l’un des secteurs les plus dynamiques à l’échelle mondiale. De nombreux gouvernements encouragent désormais les investissements pour permettre aux entreprises de croître plus rapidement, apportant des retombées positives à la population, avec notamment des emplois de qualité, bien rémunérés, répartis équitablement sur le territoire et qui favorisent l’innovation dans les villes et régions éloignées de la capitale.
Cette révolution, loin d’être une simple tendance passagère, s’accélère chaque jour. Si nous continuons à l’observer à distance, nous risquons de perdre une chance précieuse. Selon IDC, l’investissement dans ce secteur pourrait atteindre 4 trillions de dollars d’ici 2026, tandis que des technologies avancées comme l’intelligence artificielle stimulent une hausse significative de la productivité, pouvant potentiellement ajouter jusqu’à 7 % au PIB mondial, d’après Goldman Sachs.
Dans ce contexte, le potentiel du Chili est immense. Nous disposons de tous les facteurs clés nécessaires pour développer cette industrie (selon l’indice latino-américain sur l’IA de la CEPAL et du CENIA). Notre infrastructure numérique offre par ailleurs des niveaux de connectivité élevés, facilitant l’accès à ces technologies.
Cependant, pourquoi ne sommes-nous pas en tête ? Une part du chemin a été bien empruntée – talento et infrastructure – mais nous n’avons jamais concentré nos efforts sur la compétitivité à l’échelle nationale. Ce jeu se déroule sur la scène mondiale : les pays se livrent une concurrence acharnée pour attirer non seulement les investissements, mais surtout les créations d’emploi dans leurs villes. Un exemple flagrant en est que les exportations de TICs par le Chili n’ont crû que de 5,3 % au cours des 20 dernières années (Invest Chile), occupant ainsi la sixième place dans les exportations de services numériques en Amérique Latine, loin derrière des pays comme l’Argentine et le Brésil.
Il est donc possible d’améliorer notre compétitivité. Cependant, cela nécessitera l’adoption de politiques publiques visant le développement à long terme du secteur. Dans ce cadre, des programmes tels que Talento Digital, soutenus par le ministère des Finances pour réduire la fracture numérique et améliorer l’employabilité, ou encore l’organisation de tables multisectorielles, comme celles que nous mettons en place via l’ACTI, pour lier formation technique et besoins du marché, sont des initiatives très encourageantes, mais malheureusement encore insuffisantes pour atteindre l’échelle et l’impact nécessaires.
Dans la course à la révolution numérique, le Chili se trouve à la traîne, observant le progrès des autres nations, alors que le rythme s’accélère chaque jour. Il nous reste encore une chance de nous impliquer, de prendre la direction régionale et de rivaliser sur la scène internationale, mais le temps presse et l’avenir ne peut attendre. C’est maintenant qu’il faut agir.
![Portrait de Rafael Rizzo](https://www.sefarad.org/toup/2025/01/Chili-et-lEconomie-Numerique-il-est-temps-de-passer.png)
Article original rédigé par : Rafael Rizzo, Directeur de l’ACTI et Responsable Pays de Globant Chili.
Notre Point de vue
La dynamique actuelle autour de la numérisation offre aux pays comme le Chili une chance de rattraper leur retard. En observant les exemples de pays européens ayant intégré des stratégies numériques fructueuses, il est apparu que la coopération entre le gouvernement, les entreprises et la société civile est essentielle. Les leçons tirées de ces pays pourraient éclairer le Chili sur la voie à suivre. Le défi réside dans la capacité d’agir rapidement et de manière cohérente à un moment où l’Europe se positionne déjà comme un leader dans ce domaine.
- Source image(s) : www.anda.cl
- Source : https://www.anda.cl/chile-y-la-economia-digital-es-hora-de-dar-el-salto/
![Marcel Deprez](https://www.sefarad.org/cloud/litespeed/avatar/d306a1ca7c240dcb635e12063a17e8c2.jpg?ver=1737480112)