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Leçons tirées du dernier mandat de 2019 à 2024

Les leçons du dernier mandat de la Commission Européenne (2019-2024) révèlent une nette augmentation de l’implication des institutions de l’Union Européenne (UE) en matière de politique technologique aux côtés d’autres partenaires. L’institutionnalisation des dialogues avec d’autres pays a favorisé la mise en place de plateformes de confiance pour l’échange d’informations et, dans certains cas, pour prendre des décisions conjointes sur les feuilles de route. On peut citer le Conseil UE-États-Unis sur le Commerce et la Technologie, le Conseil UE-Inde sur le Commerce et la Technologie, ainsi que les Accords de Partenariat Numérique avec divers pays de la région indo-pacifique, comme le Japon, la Corée du Sud et Singapour. Ce mandat a également marqué le lancement de l’Alliance Numérique entre l’UE et l’Amérique Latine et les Caraïbes, tout en renforçant l’Agenda Numérique pour les Balkans Occidentaux.

De plus, cette période a été marquée par le premier élan coordonné des 27 États membres vers la diplomatie numérique, illustré par l’adoption des Conclusiones du Conseil de l’UE en juillet 2022, qui établissent un cadre de diplomatie numérique. Celui-ci sert de cadre pour coordonner toutes les actions relatives aux aspects extérieurs de la politique numérique de l’UE, englobant des questions de sécurité, comme les négociations autour d’un cadre pour un comportement responsable des États sur les normes cybernétiques, ainsi que des enjeux économiques, tels que des investissements ou des accords sur les télécommunications et la 5G avec d’autres partenaires.

Alors que l’attention de l’UE s’est articulée autour de la souveraineté et de l’autonomie stratégique, le nouveau mandat qui débutera en 2024 s’oriente vers une sécurité économique. Cela implique une transition d’une approche plutôt réglementaire vers une stratégie axée sur la politique industrielle et l’intervention publique, tout en renforçant la compétitivité, intégrant les transitions numériques et écologiques.

Durant ce mandat, ces transformations ont intégré une dimension internationale. Quatre principaux axes normatifs devraient être au cœur du nouveau mandat pour la période 2024-2029, concernant la politique numérique de l’UE à l’échelle internationale :

  1. la dimension institutionnelle et de gouvernance, avec la création de la première vice-présidence exécutive pour la Souveraineté Technologique, la Sécurité et la Démocratie ;
  2. le renforcement et la coordination des initiatives de diplomatie numérique ;
  3. la dimension technologique dans la politique d’élargissement, en particulier pour les pays candidats à l’adhésion à l’UE ;
  4. la révision de l’agenda avec la détermination des priorités et l’élaboration d’une feuille de route orientée vers l’action pour mettre en œuvre la Stratégie Européenne de Sécurité Économique.

L’élan vers des besoins politiques issu des rapports Draghi et Letta

Bien que les rapports de Draghi et Letta portent principalement sur les besoins de politique interne au niveau de l’UE et des États membres, l’aspect international y figure tant de manière explicite qu’implicite.

Il en ressort que le facteur clé expliquant l’écart croissant de productivité entre l’UE et les États-Unis est la technologie numérique. L’UE n’a pas su tirer parti de la première révolution numérique des années 1990. Actuellement, la technologie de pointe se concentre aux États-Unis, avec 70 % des modèles de base en IA développés là-bas et 65 % du marché européen du cloud dominé par trois hyperscalers américains.

Le Rapport de Draghi souligne que l’UE a pris du retard. Bien que le leadership sur de nombreuses technologies soit désormais hors de portée, l’UE a la possibilité de maintenir une présence dans des domaines spécifiques, si des investissements adéquats sont réalisés. Cela inclut la recherche de solutions pour un « cloud souverain », où davantage de sécurité et de confidentialité sont demandées. Des segments comme la robotique autonome et les services d’IA, où l’UE représente environ 22 % de l’activité mondiale, sont essentiels.

Pour atteindre ces objectifs, Draghi recommande d’augmenter les dépenses en R&D et de concentrer l’attention sur les innovations de rupture. Il établit une comparaison avec des agences comme la DARPA aux États-Unis, encourageant la création de clusters d’innovation plus robustes, car parmi les dix premiers centres d’innovation mondiale, quatre se situent aux États-Unis et trois en Chine.

Letta, dans son rapport “Much more than a market” (Bien plus qu’un marché), propose un cadre novateur pour l’agenda international de l’UE, soutenant qu’une cinquième liberté est cruciale pour la recherche, l’innovation, les données et l’éducation, avec une intégration suivie d’une position coordonnée de l’UE à l’échelle mondiale.

Ces messages mettent également en avant l’idée qu’une UE plus intégrée, tout en se basant sur ses 27 États membres, renforcerait son agenda international.

Institutionnalisation de la dimension internationale de la politique numérique de l’UE : Le nouveau Collège des Commissaires

La création du profil de la première Commissaire proposée pour la Souveraineté Technologique, la Sécurité et la Démocratie devrait placer la diplomatie numérique au cœur de sa feuille de route pour l’interaction internationale. Dans la lettre de mission, la Présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, charge Henna Virkkunen de promouvoir la productivité via la diffusion des technologies numériques et d’intensifier la compétitivité digitale de l’UE.

La Commissaire devra canaliser ces avancées à travers des initiatives d’interaction internationale avec des partenaires choisis en fonction de l’intérêt stratégique et du bénéfice mutuel, en veillant à ce que ces alliances soient durables et fondées sur l’égalité.

Elle devra également garantir la cohérence des politiques numériques internes et externes, en particulier en ce qui concerne les questions de sécurité. Cela s’applique aux partenariats bilatéraux et aux initiatives pour une gouvernance numérique mondiale. L’UE doit tirer parti des initiatives existantes pour maximiser l’impact de ses actions dans les verticales technologiques et rechercher des partenaires fiables. Les producteurs de semiconducteurs ne peuvent pas être isolés en Europe. L’UE doit donc exploiter les ressources issues du projet de loi sur les puces électroniques et établir des collaborations avec des pays tiers.

Un des premiers résultats du Conseil de Partenariat Numérique UE-Japon a été la création d’un mémorandum pour établir une coopération sur les semiconducteurs, incluant un mécanisme d’alerte précoce pour la chaîne d’approvisionnement. Pour la République de Corée, le premier Forum Bilatéral des Chercheurs s’est tenu. Les actions de coopération seront financées par le programme Horizon Europe.

Il est nécessaire, durant cette nouvelle période, d’élargir le champ de la coopération pour s’engager sur une agenda plus ambitieuse, exploitant les investissements communs.

Le domaine de l’IA exige également une attention particulière. Le Bureau de l’IA doit solidifier ses relations internationales et définir des priorités claires afin de soutenir le développement de l’IA avec des pays tiers. Cette démarche est cruciale pour garantir la création de partenariats techniquement et durablement tangibles dans le développement de l’IA.

Une attention accrue doit également être portée aux accords internationaux garantissant un contrôle humain substantiel des systèmes utilisant l’IA dans les domaines sensibles.

En ce qui concerne la gouvernance internationale, il s’agit d’actions concrètes comme la feuille de route du Pacte Numérique Mondial promue par l’ONU, où l’UE a influencé de façon déterminante pour promouvoir une vision axée sur l’humain. L’UE devrait jouer un rôle actif dans ce contexte. De plus, les normes TIC doivent faire partie des objectifs de la nouvelle Commissaire, car cela est crucial pour diminuer les dépendances et renforcer les capacités sur les technologies critiques.

Dans ce sens, le Collège des Commissaires doit redoubler d’efforts sur des sujets ayant reçu peu d’attention jusqu’à présent, tel que la sécurité des infrastructures sous-marines, pour laquelle la Commission a formulé une Recommandation. Cela inclut une recommandation visant à améliorer la coordination et le financement.

Promouvoir et établir des initiatives de diplomatie numérique

Comme mentionné précédemment, le mandat 2019-2024 a rapidement vu la création de partenariats numériques internationaux. La publication des Conclusiones du Conseil de l’UE sur la diplomatie numérique en juillet 2022 a mis en avant son importance, tant pour les institutions de l’UE que pour les 27 États membres.

Pour adopter une approche européenne plus harmonisée, l’accord repose sur quatre volets : objectifs stratégiques, propositions fondamentales, mécanismes d’exécution et amélioration institutionnelle. Si certains piliers sont en cours de mettre en œuvre, la majorité nécessiteront encore une maturation institutionnelle dans les années à venir.

Pour ce qui est des objectifs stratégiques, l’UE doit se positionner comme un leader mondial en diplomatie numérique, en défendant un cadre technologique centré sur les droits humains. Il est essentiel pour l’UE d’exploiter son influence géopolitique afin de forger des cadres de gouvernance numérique qui défendent les droits fondamentaux et renforcent les principes démocratiques.

Quant aux propositions fondamentales, l’intégration totale de la diplomatie numérique dans l’action extérieure de l’UE est nécessaire. Cela passe par une harmonisation des initiatives de diplomatie numérique avec les politiques existantes, abordant de manière cohérente les menaces hybrides et les cyberattaques.

Pour ce faire, l’UE doit continuer à promouvoir ses politiques numériques à l’international, veillant à ce que des cadres comme la Brèche Numérique 2030 trouvent un écho au niveau global. Elle doit également s’assurer que des mécanismes tels que le “set d’outils de cybersécurité” et d’autres initiatives sont renforcés pour contrer la désinformation et protéger les processus démocratiques.

En ce qui concerne les mécanismes d’exécution, l’UE doit développer des alliances pour réaliser ses objectifs en matière de diplomatie numérique, élargissant les collaborations existantes. L’UE doit interagir avec un éventail plus large de parties prenantes afin de développer des solutions novatrices.

Parallèlement, la coopération doit également se renforcer au niveau institutionnel, en formant le personnel diplomatique et en développant des centres régionaux pour rationaliser les initiatives.

Enfin, l’UE doit se préparer aux évolutions politiques des États voisins pour s’assurer que le Conseil UE-États-Unis de Commerce et Technologie continue d’être un exemple pratique de collaboration.

Élargissement de l’UE et pays candidats

Les pays candidats à l’adhésion à l’UE doivent être au centre des initiatives de diplomatie numérique de l’Union. Des pays tels qu’Ukraine, Géorgie et Moldavie ont fait des progrès en matière de conformité aux exigences de l’UE.

Il est vital que les questions de politique numérique intègrent les enjeux des télécommunications, normes techniques, mécanismes de certification de la sécurité, et autres, tant dans la politique intérieure qu’extérieure de l’UE. La vulnérabilité à la désinformation et autres ingérences malveillantes doit être une priorité dans l’interaction internationale de l’UE.

Actuellement, les pays candidats comprennent l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Macédoine du Nord, Moldavie, Monténégro, Serbie, Turquie et Ukraine. Chacun d’eux doit se concentrer sur des domaines tels que la digitalisation du système judiciaire et le renforcement des infrastructures numériques.

Des défis majeurs subsistent pour l’intégration complète des normes de l’UE, tout en permettant à ces pays de développer leurs propres capacités grâce au soutien technique et financier de l’UE.

Renforcer la voix des États membres dans la proposition de Stratégie de Sécurité Économique de l’UE et ses initiatives connexes

La Commission Européenne a proposé en été 2023 une Stratégie de Sécurité Économique inédite, visant à traiter les risques économiques découlant des tensions géopolitiques et des changements technologiques rapides.

Cette stratégie repose sur trois principaux axes : promouvoir la base économique et la compétitivité de l’UE, protéger contre les risques, et former des partenariats avec des pays partageant des préoccupations communes. Les chaînes de sécurité concernant les infrastructures critiques doivent être renforcées.

Parmi les résultats notables, la Commission Européenne a établi une liste de technologies critiques et encourage les États membres à évaluer les risques, menant à des actions précises pour diminuer les dépendances extérieures.

Cette nouvelle approche souligne l’importance d’une coopération proactive entre la Commission Européenne et les États membres. Les actions des États doivent se concentrer sur l’adoption d’un cadre commun pour l’évaluation des risques économiques, tout en intégrant le secteur privé dans ce processus.

À l’avenir, les États membres doivent s’interroger sur leurs initiatives nationales pour stimuler l’innovation, tout en protégeant la compétitivité technologique et en s’alliant avec des partenaires de confiance en dehors de l’UE.

Une coopération constructive est d’autant plus cruciale, surtout à l’heure où l’UE lutte pour maintenir une position concurrentielle sur le marché technologique mondial, face à la montée des États-Unis et de la Chine.

Image

Image: Roberta Metsola, présidente du Parlement Européen, lors d’un Facebook Live en 2022. Photo : Daïna Le Lardic – EP / ©Union Européenne, 2022.

Notre Point de vue

Dans un contexte international en constante évolution, il est impératif pour l’Union Européenne de réévaluer sa stratégie afin d’assurer sa position sur la scène numérique mondiale. L’intégration des pays candidats est un enjeu qui mérite une attention particulière, non seulement pour renforcer la cohésion interne, mais également pour affirmer la force de l’UE en tant qu’entité influente sur le plan international. Cela pourrait bientôt se traduire par un renforcement des partenariats avec ces pays, mais aussi par l’amélioration de la résilience face aux enjeux technologiques. Pour que cette ambition se concrétise, une démarche unifiée et stratégique semble indispensable.



  • Source image(s) : www.realinstitutoelcano.org
  • Source : https://www.realinstitutoelcano.org/documento-de-trabajo/prioridades-para-la-agenda-internacional-de-la-politica-digital-de-la-ue-en-el-mandato-2024-2029/

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