La baisse des revenus publicitaires numériques dans les médias a éveillé les inquiétudes. Les trois grands groupes de presse espagnols cotés en Bourse (Prisa, Vocento et RCS) affichent une diminution de 1 % de leur chiffre d’affaires en matière de publicité numérique, un secteur censé compenser les pertes des éditions imprimées. Bien que cette variation puisse paraître mineure, les signaux du marché incitent à la prudence. Pour la première fois, l’évolution de la publicité dans la presse numérique s’oriente dans une direction opposée à celle des grandes plateformes numériques, telles que les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, qui, elles, affichent des hausses d’environ 10 %, selon des données provenant de l’étude i2P d’Arce Media.
Les éditeurs ont depuis longtemps accepté que le quotidien imprimé a un avenir limité ; la question qui se pose est celle de la date de son extinction, avec l’espoir que le salut passe par internet. Ainsi, ils ont adopté une stratégie axée sur l’édition numérique pour attirer les investissements publicitaires de ce marché. En 2020, ils ont commencé à facturer pour leurs contenus. L’idée était de retrouver un modèle mixte, alliant revenus publicitaires et abonnements. Cependant, quatre ans plus tard, il apparaît que le schéma hybride actuel, basé sur des abonnements numériques peu coûteux et des publicités à des prix dérisoires, ne permet plus de maintenir une rédaction capable de produire des contenus de qualité.
Dans les neuf premiers mois de cette année, Vocento (éditeur de ABC et d’une douzaine de journaux régionaux) a enregistré une diminution de 0,2 % de ses revenus publicitaires numériques ; Prisa Media (éditeur de El País, CincoDías et AS) une baisse de 1,2 %, et RCS Mediagroup (éditeur de El Mundo, Marca et Expansión en Espagne, ainsi que de Corriere della Sera et Gazzetta dello Sport en Italie) un recul de 1,1 %. Ce constat s’opère cependant dans un contexte de croissance du nombre d’utilisateurs uniques et, surtout, d’abonnés des éditions numériques, avec des augmentations de 14 % pour Vocento et près de 20 % pour El País et El Mundo. Par conséquent, bien que la fidélité et la consommation des journaux numériques soient en hausse, cela ne se traduit pas par une augmentation des revenus. Cela ne serait pas inquiétant si l’évolution du marché de la publicité numérique ne montrait pas un désalignement alarmant.
Jusqu’au début de ce siècle, l’investissement publicitaire était principalement réparti entre les médias (télévision, presse, radio), les panneaux d’affichage, les salles de cinéma et peu d’autres acteurs. L’avènement d’internet a introduit de nouveaux concurrents : les moteurs de recherche (Google), les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, TikTok, X) et les marketplaces (Amazon, AliExpress, Temu, Rakuten). De plus, les plateformes de télévision à la demande (Netflix, Prime Video, Max, Disney) évoluent vers un modèle hybride, alliant abonnements à moindre coût et publicités, afin de continuer leur expansion.
Ces géants captent l’attention des consommateurs, qui ont accès au processus d’achat en un clic. Par conséquent, il est difficile pour les médias d’entrer en concurrence avec eux. Pire encore, leurs grands annonceurs deviennent désormais leurs compétiteurs. Walmart a récemment communiqué ses résultats, et les revenus publicitaires représentent déjà près d’un tiers de ses bénéfices opérationnels. Ce secteur d’activité, qualifié de Retail Media, est le pilier d’Amazon et est de plus en plus adopté par de grandes enseignes pour se défendre contre cette entreprise. El Corte Inglés, qui a été l’un des plus importants annonceurs des journaux pendant des décennies, va également générer des revenus significatifs grâce aux publicités des marques vendues via ses canaux digitaux.
La question majeure qui se pose est celle du coût social de cette évolution. Si les médias ne trouvent pas de modèle de financement viable pour leur survie, la loi de la jungle risque de prévaloir dans notre société. Ce contexte est propice à la désinformation et à l’usage de l’intelligence artificielle pour des objectifs douteux. Il suffit de regarder ce qui vient de se passer en Roumanie, où un candidat pro-russe et antisémite a remporté la première manche des élections avec 24 % des voix, un soutien largement obtenu grâce à une campagne intensive sur TikTok. La Russie exploite en effet intensément les réseaux sociaux pour promouvoir ses candidats à travers l’Europe.
Compter uniquement sur l’altruisme de quelques milliardaires n’est pas non plus la solution idéale, comme l’ont montré les dernières élections aux États-Unis. Elon Musk a dépensé 44 milliards pour acquérir Twitter pour ensuite le mettre au service de Donald Trump, un coût qui, au bout du compte, sera supporté par les contribuables. De même, Jeff Bezos, qui a acquis The Washington Post il y a dix ans, a récemment empêché son journal de se positionner clairement en faveur des démocrates, comme il le faisait auparavant.
Il est indéniable que l’absence de médias gérés selon des principes journalistiques professionnels rendra le monde nettement plus difficile. La mission des médias est de faire triompher la vérité et de démystifier la désinformation. Nous avons urgemment besoin de gouvernements capables de trouver des solutions pour garantir la pérennité d’un écosystème médiatique libre et diversifié. Sans cela, le vide laissé sera occupé par des individus et des organisations sans scrupules, qui tenteront de manipuler les citoyens comme des moutons vers des abîmes. La survie de la démocratie dépend de la pérennité des médias.
Notre Point de vue
Il est essentiel de réfléchir à l’avenir des médias et de leur financement dans ce contexte de transformation numérique rapide. L’Europe, avec ses puissantes traditions en matière de journalisme indépendant, est à un carrefour. L’engagement à renforcer la diversité médiatique est une priorité qui ne peut être négligée. L’existence d’une presse libre et de qualité est un pilier de la démocratie, requérant des actions concrètes pour assurer la viabilité financière des journalistes tout en promouvant un espace médiatique informé et critique. C’est à ce prix que l’Europe pourra maintenir son héritage d’une information de qualité face aux défis contemporains.
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