Pascal Bruckner - Un bon fils
éditions Grasset
Voilà un livre qui ne donne que du plaisir. Un livre dont on veut vite découvrir la suite tout en redoutant qu’il se termine.
Dans cet ouvrage, Pascal Bruckner nous apprend qu’il a toujours eu la réputation d’être un écrivain, un philosophe, un intellectuel « juif » sans jamais le démentir. En fait, il est protestant.
Je me souviens m’être questionnée tout de même, à savoir si oui ou non il était juif.
Un jour nous nous sommes croisés avenue Churchill à Bruxelles, et là je me suis dit qu’il n’y avait plus à douter de sa judéité, par le fait de son expression dans son regard soutenu, son nom, sa douceur, ses écrits et inexplicablement aussi le hasard de se trouver à cet endroit. Tout cela n’a fait que me conforter dans cette idée.
J’ai toujours aimé Bruckner surtout depuis son Essai sur le bonheur dans l’Euphorie perpétuelle, qui était devenu il y a longtemps le livre principal sur ma table de chevet.
Son dernier ouvrage est tout à fait d’un autre registre comparé à ses romans ou essais que j’ai dévorés.
Disons que cela ressemble à une biographie (thérapie ?) familiale.
Oui, le titre dit bien Pascal Bruckner est un bon fils, même plus que bon. Brave et bien éduqué.
Est-ce un règlement de compte d’un fils à son père ? Non, pas vraiment. Est-ce un cri d’amour à son père ? Un peu, mais c’est surtout un portrait au vitriol brossé par un fils de son père.
Le père aujourd’hui mort, le fils se lâche enfin et nous jette d’une façon bien brutale toute sa haine, sa hargne pour ce géniteur pervers, cruel et humiliant, tant avec lui dès son plus jeune âge qu’avec sa mère.
Le petit Bruckner est de santé très fragile et a une adoration profonde pour sa mère
En permanence, le père est d’une violence insoutenable que ce soit verbale ou physique.
«… Aujourd’hui, je me demande : n’aurais-je pas dû tabasser mon père comme il le méritait, lui fiche une raclée mémorable ?... »
.. « J’ai retrouvé ce trait de caractère chez quelques amis, mal mariés, dont le plaisir consiste à rabaisser leurs épouses en public, symbole à leurs yeux de leur échec existentiel… »
Ce père français d’origine allemande qui vit en France, voue une passion pour Hitler et ses idéologies. C’est la vraie brute facho, primaire, antisémite épidermique au travers des générations. A son niveau, il n’y a même pas à réfléchir, « on vomit le juif ».
…Tous les jours nous avions un examen d’allemand ; il fallait traduire dans la langue de Goethe les expressions les plus ardues…Elle avait peur de lui , et répétait toujours :-ton père est si fort , il a tellement d’énergie .- Mais non , Maman , il n’est fort que de ta faiblesse ….Mais je voulais aussi lui plaire , gagner son estime , l’étonner comme tous les enfants , le faire rire par mes grimaces…Je rêvais qu’il laisse tomber sur moi une pluie d’épithètes louangeuses plutôt que des remarques acerbes …. »
…Dans la famille, paternelle comme maternelle, nous étions bilingues dès le berceau : nous apprenions l’antisémitisme en même temps que le français …..D’aussi loin que je me souvienne, dès le petit déjeuner, il n’était question que de youpins, des youtres et autres qualificatifs délicats. Il ne s’était jamais remis de la défaite de la Wehrmacht et vouait à de Gaulle, aux Anglais, aux Américains une haine éternelle … »
Dans la deuxième partie de l’ouvrage l’auteur nous donne du plaisir à relater des pans de sa jeunesse en tant qu’étudiant, ses amours, ainsi que tout l’épisode délicieux avec son « jumeau spirituel » : Alain Finkielkraut.
Tout cela est très bien mais ce qui me semble tout à fait incroyable est que Bruckner n’a que dix ans quand il prend conscience qu’il y a une faille dans le comportement de son père. Outre le fait que le père soit un salaud très violent avec sa mère, à tel point qu’il évoque le Seigneur dans ces prières afin que le père meure, Bruckner petit garçon discerne que les propos et le comportement de son père sur les juifs ne sont pas en symbiose avec ses émotions.
Habituellement un enfant épouse d’emblée les idées de ses parents sans se poser la moindre question. Mais là ! Non. C’est un enfant très précoce, sensible et surtout très brillant avec une maturité décelant une situation hors normes.
Quant aux violences familiales qu’a vécues notre auteur, malgré son état permanent d’hypervigilancesuite au comportement imprévisible de son père, il nous donne le sentiment de s’en sortir pas mal car bien souvent les conséquences ont unimpact traumatisantsur un enfant qui comme Bruckner, voulant épargner sa mère, ne montrait pas son désarroi.
C’est pour cela que Pascal Bruckner mènera volontairement une vie à l’opposé total de celle de son père et qu’il est devenu un être d’exception avec surtout le droit au bonheur qui transparaît dans cet ouvrage.
Milantia BOURLA CORTES - Mai 2014.
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